Février 2014
Par Emmanuel E. LANGE (Membre de Regards Critiques)
E-mail : lanjanou@yahoo.fr
« La critique est dans toute pensée véritable ; il n’y a pas de pensée sans la distance qui se manifeste dans toute attitude de questionnement. Et il n’y a pas de question sans la conscience qu’à toute question il y a plusieurs réponses possibles. » Le Rider FORGET Ph., Hans Georg Gadamer et le pouvoir de la philosophie.
Les conditions d’études et de travail à l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) sont accablantes. Pas besoin de faire une description a priori de la situation puisque sautent aux yeux les indicateurs de la défaillance de l’université, bien qu’il ne soit pas évident que tous comprennent la gravité de la situation. Si même le minimum n’est pas garanti, on ose le dire, il est paradoxal, en cet espace souvent revendiqué d’avant-gardiste et de lieu de mise question, que l’on ne constate depuis bien quelques temps presqu’aucune mobilisation effective visant l’amélioration des conditions des diverses catégories de l’université voire la transformation de cet état de fait. Les mobilisations de rue et les shows médiatiques de certains étudiants, par exemple, n’ont été que souvent des réactions spontanées et pulsionnelles à des situations provocatrices : l’assassinat de l’étudiant Leroy (FASCH), la disparition de l’étudiant Onald Auguste (FASCH), l’assassinat de Damaёl D’Haïti (FDSE), la dernière décision du rectorat d’augmenter le prix des inscriptions au concours d’entrée à l’ueh à 1500 gdes… Toutes ces occasions ont créé des situations de « panique » et donner lieu à de grandes « manifestations étudiantes », et cela se comprend. Il y a eu aussi dernièrement la grève des professeures.
Par ailleurs, le budget de l’université reste pratiquement insignifiant (…) ; la reforme prévue par les dispositions transitoires de février 1997 tarde encore à venir ; il n’y a aucun dispositifs de santé pour les étudiants, professeurs et personnels ; pas de cafétéria, ni de véritable bibliothèque ni de laboratoire de recherche ; un projet de loi organique est en cours, redéfinissant l’organisation et le fonctionnement de l’ueh ; des « professeurs » non licenciés dispensent des cours au niveau de licence ; le « chef » du rectorat ne dispose pas d’un doctorat, or il y a un programme de doctorat à l’ueh ; des programmes de master (bidon) pullulent, ils renouvèlent l’ueh et même aussi l’Université Henri 1e (Limonade)… Il faut alors se demander où en est la situation revendicative des étudiants ou professeurs[2]. Ce qui est clair, c’est qu’il n’y a pas eu, depuis bien longtemps, de mouvement étudiant ou universitaire ayant dénoncé cet état de fait ni même une manifestation organisée pour dire clairement non à cette situation. Alors, comment comprendre cette attitude de l’ueh par rapport elle-même, cette sorte de silence (dans le bruit) face à son désarroi ? L’on pourrait traduire cela en termes d’une indifférence à soi. Cette indifférence semble trahir aussi une sorte de massification de l’espace universitaire ?(1). Et, cela coïnciderait à une « perversion » de l’espace public uehien, ce qui exige alors sa reconstitution en termes de responsabilité(2).
1-La massification de l’ueh ?
Combien d’étudiants ne cessent de répéter que l’université (l’ueh) est un espace politique[3]. En fait, en tant qu’institution (publique), elle ne peut exister que comme la trahison de volonté politique et d’une trame d’action (publique). En tant qu’espace de relation, elle suppose des modes spécifiques de rapport de pouvoir, des modes d’être-ensemble. « Une pluralité authentiquement politique repose sur un « consentement » à vivre ensemble qui implique la « reconnaissance du fait que nul homme ne peut agir seul ». (Hubeny 1993 : 53)
Alors, si les conditions générales d’enseignement ou d’étude à l’ueh sont déplorables à tel point qu’on pourrait parler de « conditions de masse », il faut bien se questionner sur la situation revendicative des diverses catégories d’acteurs concernés. À cette interrogation, l’on n’affirmera pas qu’il n’y ait point un engagement pour une amélioration quelconque. Toutefois, on peut dire entrevoir une certaine « attitude de masse ». Ici, « la masse est conçue comme négation du public. Loin d’être structuré sur un rapport de communication, l’ordre politique se défait dans un monde d’objets ou dans le spectacle de sa propre parodie. » Et, « c’est finalement à distance, avec indifférence ou ironie, que l’individu-masse vivrait la politique. » (Borlandi : 134-135). La politique se réfère ici à l’action (publique) comme mise en commun, qui se dérobe et se voit noyée dans la violence quand la puissance lui fait défaut.
Considérons donc deux grandes catégories identifiées : professeurs et étudiants.
Il n’est pas sans savoir que les professeurs ne sont pas trop bien rémunérés à l’ueh et que les conditions générales de l’espace universitaire sont souvent inappropriées pour l’enseignement, sans compter les situations de tensions (occasionnelles) qui troublent le cours des séances ordinaires. Eux-mêmes se plaignent souvent de cet état de fait. Enseigner à l’ueh ne leur permet pas de se reproduire convenablement et poursuivre leur projet d’avenir. Mais au delà, c’est le statut même de professeur/chercheur qui est en cause. L’environnement intellectuel ne semble pas être propice à leur égard et, il n’est pas du tout facile de dire qu’il y ait un esprit favorisant la recherche scientifique à l’ueh ou en Haiti[4]. Ils se refugient donc dans l’administration publique, la politique, les ONG, les organisations internationales et les universités privées (même celles dites borlettes), ou encore dans le petit business.... On dirait une sorte de fuite pénible. Combien d’entre eux sont vraiment des professeurs ? Demandons-nous s’il y a vraiment un corps professoral capable de mobiliser leurs ressources de façon à agir efficacement pour changer quelque chose? Le professeur Alain Gilles avait souligné, dans son article La grève des professeurs : la rançon de la distinction, l’absence même de syndicat de professeur à l’ueh comme signe de déficit d’organisation totale de cette catégorie. Le professeur Fritz Dorvilier s’est mis d’accord avec lui, lors de la dernière conférence sur ce mouvement professoral[5], sur le fait que l’université ne forme même pas encore une communauté (d’intérêt ou d’esprit). Alors, dans quelle mesure peuvent-ils vraiment agir ? En tout cas, soulignons cette dernière tentative de certains d’entre eux dans la Cellule de Réflexion pour la Nouvelle UEH (CNRU) sur la question de salaire. Mais n’oublions pas, ils n’ont pas une assurance santé, pas de crédit, pas de plan de financement de recherche…
Considérons alors l’autre catégorie : les étudiants. « Dans la pratique de discussions libres, il arrive qu’ils [les étudiants] posent des questions sur l’origine de ces problèmes sociaux, et leur mode d’approche conditionne leur style de révolte.» (Louis Juste 2004). Quel est leur mode d’approche ? Quel est leur style de révolte ? L’on admettra en tout cas la tendance à la négation de la discussion libre[6]. L’on constatera aussi la spontanéité chronique et la désarticulation rapide de ces révoltes (tous les cas cités à l’introduction).
Nous l’avions dit dès l’introduction, ces cas de révoltes n’ont jamais eu pour motivation directe la considération des besoins fondamentaux des étudiants ou des problèmes structurels de l’UEH. Ils n’ont jamais pris en compte par exemple le statut défini des étudiants, leurs conditions de reproductions concrètes : les conditions sanitaires, les conditions alimentaires, le loisir ; d’autant plus que ce sont les conditions générales mêmes d’un enseignement de qualité qui font défaut à l’université (UEH). Cela ne pouvait se faire bien sûr puisque l’espace de la discussion de nos intérêts collectifs en tant qu’étudiants, notre espace public, est handicapé par la violence, la propagande, la manipulation et la désinformation. Certains protagonistes en profitent aussi pour augmenter leurs capitaux. Ainsi les conditions de la discussion sont-elles empiétées de tous les côtés. Et cela profite bien à nos dirigeants (malhonnêtes et/ou incompétents) qui constatent notre impuissance dans l’incapacité d’organisation de revendications légitimes et de mobilisation d’énergie politique nécessaire à la satisfaction de celles-ci. En tout cas, il est à constater la coïncidence entre cette impuissance, qui découle en partie de notre indifférence à nous-mêmes comme collectivité, et l’empiétement de la communication dans l’espace public universitaire, c’est-à-dire l’handicap de la « discussion vraie » sur notre état de délabrement. On est donc en doit aujourd’hui de revendiquer la responsabilité de l’université.
Alors, professeurs et étudiants répondraient-ils donc aux « traits que la psychologie collective a découvert entre temps dans l’homme de masse : son abandon-et l’abandon n’est ni l’isolement ni la solitude-indépendant de sa faculté d’adaptation ; son excitabilité et son manque de critères ; son aptitude à la consommation, accompagné d’incapacité à juger, ou même à distinguer ; par-dessus tout, son égocentrisme et cette destinale aliénation au monde… » (Arendt 2001 : 255). Nous ne prétendons pas avoir de réponse à cette interrogation. Néanmoins, nous admettrons que la situation est loin d’être l’idéale. Certains de nos camarades de la FE diraient eux-mêmes, comme ils disent souvent : « M trè z’enkyè !» (Je déborde d’inquiétude).
2-Pour la responsabilité de l’ueh
a) L’université comme espace public
Partons de l’idée que l’université est un lieu de formation scientifique, « lieu où sont enseignées des matières au niveau le plus élevé de la connaissance et qui sont produites pour l’essentiel dans les universités elles-mêmes » (Javeau 1998 : 13). Cela suppose non seulement que c’est un espace de relations humaines mais aussi où l’on institue une forme de connaissance spécifique, la connaissance scientifique. Ce dernier prend corps principalement dans l’activité théorique, activité de production de signification (Schlanger). Il s’ensuit donc que les sujets connaissant ne soient contraints d’aucune forme de violence. « La connaissance ne doit être déterminée ni par des intérêts sociaux non réfléchis ni par des pressions plébiscitaires.» (Habermas 2006 : 391) Il est alors évident que la connaissance scientifique (dans l’espace universitaire) se reconstruit et se transmet idéalement dans le cadre de la discussion dialogale, libérée des rapports de domination. Cela n’exclu point la différence en termes de compétence scientifique entre professeurs et étudiants, qui ne sont nullement le cas pour la « compétence dans les questions de politique universitaire générales ». (Habermas 2006 : 391)
En ce sens, l’université représente un model typique d’espace public, « au sens d’une sphère sociale de communication » (Jonas 2006 : 28), tenant compte du principe de l’öffentlichkeit (Habermas), c’est-à-dire le principe de rationalité discursive-la « Publicité » critique. « L’espace public se caractérise des lors par cette ouverture où peut prendre place un échange d’opinion » (Hubeny 1993 :73). Ce n’est pas le lieu de reproduction dogmatique des idéologies. Et là, « Le mot « opinion » même perd son association à l’immédiateté en faveur de la réflexion critique » (Jonas 2006 : 17). Il n’en n’est pas moins vrai d’un point de vue administratif, l’idée de l’université comme espace public, dans la mesure où il y a lieu d’une « coparticipation autogestionnaire » de l’institution universitaire par les professeurs et les étudiants. Dans le cas de l’ueh, nous avons les exemples du conseil de l’université (CU) et de l’assemblée mixte instituées par les dispositions transitoires de 1997 et les règlements internes de certaines facultés. D’autant plus que l’on reconnait le fait que « les liens qui unissent les sujets au lieu se fondent nécessairement sur des valeurs et des règles de fonctionnement » (Berdoulay 1997 : 303). Et le lieu de l’université se conçoit en partie à partir de la valeur démocratique de la discussion libre des sujets égaux. Le professeur Louis-juste lui assignait cette fonction d’«un espace de discussion d’un projet de citoyenneté » (Louis-juste : 2003).
b) Critique et responsabilité
D’un point de vue élémentaire, on peut dire que la critique se rapporte à une attitude et/ou un acte. Une attitude interrogative ; un acte discriminatoire par laquelle on évalue une connaissance ou une action, c’est-à-dire où l’on cherche à sonder leur validité. Au delà, c’est une sorte de « procès de formation de l’identité individuel ou collective où l’on fait l’expérience par laquelle l’inconscient devient, in fine, conscient au niveau de la pratique de manière riche en conséquences, et (qui) modifie les déterminants d’une fausse conscience. » (Habermas 1976) En ce sens, comment la critique est-elle possible ? Autrement dit, quelles sont les conditions d’une compréhension possible des discours et pratiques sociales ? De toute façon, cela exige nécessairement la (co)présence de sujets connaissant capables de parole et d’action. Il s’ensuit donc la nécessité d’une compétence communicationnelle (idéale) de ces sujets. C’est en ce sens là que la responsabilité pleine est condition même de la critique et, dans une certaine mesure, trahison de celle-ci. La critique s’apparente de ce point de vue au processus de compréhension reconstructrice[7]et à la rationalité communicationnelle. Est rationnel celui qui peut réfléchir sur soi-même et se justifier soi-même. Mais la réflexion sur soi-même ne peut se faire indépendamment d’autre ni se suffire à soi-même. La capacité de discourir et celle de vérifier la validité des actes de discours se constituent entre elles et se complètent. Cela implique la « pleine responsabilité » qui suppose donc un lien réfléchit entre sa pensée, son discours et ses actions. (Habermas 1999 : 43-53)
c) La responsabilité critique de l’ueh
La responsabilité critique, c’est-à-dire cette potentielle d’action dans le domaine politique, qui est bien sûr en relation au dispositif critique interne de l’université, est à prendre en compte. Cela passe nécessairement par la réflexion (mais pas seulement). « La réflexion s’accomplit quand il y a un jeu constant et réciproque d’arguments critiques, à partir des convictions concrètes des interlocuteurs sociaux. » Tandis que « La compréhension constitue un jeu infini d’interprétation et de réinterprétation, un jeu ouvert à toute concrétion intersubjective du sens, un dialogue infini et inépuisable. » (Oraa 1993 : 414) La responsabilité critique est aussi ce chemin à tracer vers l’émancipation, l’épuisement des rapports de domination. C’est le devoir d’une herméneutique critique (avec appui de pratiques politiques réfléchies) qui permet d’élucider les précompréhensions (traditions) et préjugés des acteurs sociaux et d’en juger leur validité. Il s’ensuit donc que cette responsabilité s’enchevêtre dans la dialectique d’une double activité théorique et métathéorique, c’est-à-dire pratique. En fait, cela trahi la nécessité d’une investigation normative des activités et des institutions sociales, c’est-à-dire la nécessité de comprendre. « La compréhension est un concept normatif ; à sa base se trouve toujours le concept d’un consensus rationnel, conforme à des raisons, qui permet d’évaluer les consensus de faits qui peuvent être vrais ou fallacieux. C’est le discours qui a pour objet de résoudre les problèmes posés par la validité d’opinions ou de normes. » (Oraa 1993 : 427)
In fine, cette responsabilité se traduit donc en termes de réflexion critique et d’engagement politique rationnel. Cela prend sens dans la nécessité de renversement de l’ordre politique et socio-économique dominant injuste, ce qui passera par l’émergence d’une nouvelle conscience critique chez les acteurs sociaux. Alors, « quelle que soit la façon dont sont organisés les contacts entre l’Université d’une part, l’Etat et la société d’autre part,[…] l’Université doit en tout état de cause acquérir la possibilité d’amener la formation d’une volonté politique s’intéressant aux questions importantes du point de vue pratique » (Habermas 2006 : 389). Du côté de l’université (UEH), cela n’est possible, bien sûr suivant une considération fondamentale de la grammaire ontologique constitutive du monde[8], que dans le cadre d’une concertation dialogale avec le reste de la population dans les lignes d’une autoréflexion[9] émancipatrice. Ce point de vue évitera toute idée de « direction » qui masquerait de nouvelles formes de rapport de domination, de rapport autoritaire sous couvert d’hégémonie auto-légitimée.
3-conclusion
Nous avons essayé ici de traiter la question de la nécessité de la responsabilité de l’université (UHE) reconstruite comme espace public. Cette idée trouve sa validité d’abord dans le fait, en tant que l’université institue elle-même une forme de connaissance spécifique, de l’intérêt même de la connaissance : l’émancipation, la reconnaissance (et le « pouvoir » technique)[10]. Cette responsabilité est aussi vue sous l’angle d’une reconstitution de l’espace universitaire dans les termes d’un véritable lieu de discussion réfléchie, tenant compte de son état de délabrement et de la situation de malaise générale de la formation sociale haïtienne dans laquelle l’université elle-même se meut. Alors, le problème qui surgit ici de cette réflexion est bien la question nouvelle des conditions (théoriques et pratiques) de possibilité de l’action collective (universitaire) efficace qui s’impose à nous comme nécessité, en d’autres termes, les conditions intellectuelles et politiques de la responsabilité de l’ueh.
Bibliographie
Ferry, Jean-Marc (1991), Les puissances de l’expérience Essaie sur l’identité contemporaine, Tomme II : les ordres de la reconnaissance, CERF, Paris.
Berdoulay, Vincent (1997), Le lieu et l’espace public, in Cahier de géographie du Québec, pp.301-309.
Borlandi, Massimo ; Boudon, Raymond et all (sous la direction de) (2005), Dictionnaire de la pensée sociologique, puf, Paris.
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Habermas, Jürgen (1976), Connaissance et Intérêt, trad. G. Clémençon, rééd. 1979, Gallimard, Paris.
Habermas, Jürgen (1976), Logique des sciences sociales et autres essais, trad. Rainer Rochlitz, puf, paris.
Habermas, Jürgen (1999), Vérité et Justification, Rainer Rochlitz, rééd. 2001, Galimard, Paris.
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Hardy, Jonathan (2011), L’espace public de Jürgen Habermas réexaminé par ses écrits de jeunesse, Mémoire de maitrise Université de Montréal, Montréal.
Huberny, Alexandre (1993), L’action dans l’œuvre de Hannah Arendt/Du politique à l’éthique, Larousse, Strasbourg.
Javeau, Claude (1998), Masse et impuissance/Le désarroi des universités, Labor, Bruxelles.
Louis-Juste, Jean Anil (2003), Université et citoyenneté en Haïti, in AlterPresse.
Oraa José Maria, Aguirée (1993), Raison critique ou raison herméneutique ?, in Revue philosophique de Louvain, pp.409-440.
Schanlger, Jacques (1983), L’activité théorique, LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J.VRIN, Paris.
Touraine, Alain (1974), Pour la sociologie, Seuil, Paris.
Université d’Etat d’Haïti (1997), Dispositions transitoires, Port-au-Prince.
[1] Je tiens particulièrement à remercier mes camarades et amis (es) de ‘’L’atelier de lecture sur la pensée critique (ueh)’’ qui, par leurs soutiens dans la discussion et leur motivation, m’ont aidé à réaliser ce travail.
[2] Analysant les mouvements sociaux, Alain Touraine reconstruit plusieurs niveaux d’intervention en termes de types de situations revendicatives. Selon lui, « le mouvement social se situe toujours à cheval sur les cas » de situation de contestation autogestionnaire et ceux de contestation révolutionnaire. (Touraine 1974 : pp. 170-171 et passim)
[3] Nous n’utilisons pas ici ces termes dans le sens où l’on conçoit la politique comme moyen de domination, non plus que comme sphère de manipulation et de coquinerie, conception jugée erronée.
[4] Le professeur Alain Gilles nous fait part du problème d’une culture scientifique de base qui fait défaut à la [formation sociale] haïtienne. D’autant plus que le mode de légitimité du pouvoir politique constitue ici un obstacle au développement de la recherche scientifique. « Ce qui fait problème, c’est que l’Etat patrimonial [haïtien] n’a pas besoin de scientifique.» (Gilles 2012 : 12)
[5] Cette conférence a été prononcée conjointement par les deux professeurs (A. Gilles et F. Dorviler) à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) autour du thème ‘’Mouvement professoral à l’UEH. Vers la compréhension de la res universitas au sein de la société haïtienne’’ en date du 29 novembre 2013.
[6] Nous pouvons considérer à titre d’exemple le silence total de l’UHE sur l’instauration du volet Kore Etidyan dans le programme Ede pèp. S’il y a eu quand même une tentative de discussion sur la question à la Faculté d’Ethnologie (FE) en assemblée générale (des étudiants), cela n’avait pas empêché de violenter certains camarades qui avaient une position favorable à cette action politique de l’actuel gouvernent. Bien que certains de ces derniers n’auraient jamais pris le temps de discuter la question. Trop d’enjeux peut-être ! Ça a été le même cas de figure à la FASCH par exemple, et même pire. Mélange de manipulation et de violence, les responsables d’alors ayant pris part d’une manière ou d’une autre, on a fini par étouffer l’affaire sans discussion publique. Et, il n’en manquerait pas d’autre cas à titre d’illustration.
[7] Nous distinguons avec Jürgen Habermas, dans son texte Logiques des sciences sociales et autres essais, deux(2) niveaux de la compréhension (ou de l’explicitation) d’un acte de parole. Au premier niveau, elle se dit une compréhension sémantique où l’on saisit le sens explicite de l’acte de parole en question ou d’un discours particulier. Cette compréhension ordinaire reste peu profonde. À l’autre niveau, la compréhension se dit reconstructrice dans le sens où l’on explicite soi-même les présupposés du discours (ou d’actions pouvant être traduites en langage) et où l’on saisit les conditions de validité de ce discours là. On procède alors à la reconstruction du processus d’engendrement de l’acte signifiant. C’est n’est qu’à ce niveau, alors conséquente, que la compréhension peut valoir une critique.
[8] Dans les lignes de la pensée de Jean Marc Ferry, nous faisons la distinction entre trios (3) modes d’être de la réalité sous la forme de trois (3) stases pronominales : Il (réalité physique), Tu (réalité sociale), Je (réalité mental/symbolique).La grammaire est donc phénomène ontologique avant même d’être phénomène linguistique. Les phénomènes de la société et de la culture sont principalement présentés au 2e et à la 1e personne. Ainsi, la réification de l’interaction communicationnelle en termes de manipulation et de propagande où les sujets-acteurs sont réduits à la 3e personne n’est-elle pas possible. Voir Ferry, Jean-Marc (1991)), Les puissances de l’expérience Essaie sur l’identité contemporaine, Tomme II : les ordres de la reconnaissance, CERF, Paris.
[9] C’est à partir du model de la thérapeutique psychanalytique reconstruite par Sigmund Freud que Connaissance et intérêt dévoile les vertus émancipatrices de l’autoréflexion. La psychanalyse se conçoit des lors comme une herméneutique des profondeurs qui rend compte des illusions qu’un sujet se fait de lui-même. Les symptômes par exemple qui résultent d’un compromis entre des désirs refoulés et des interdits d’accomplissements de désirs imposés traduisent une certaine auto-aliénation du sujet en question et, où s’ensuit une privatisation du langage de la communication publique. C’est donc dans le processus de réflexion et de dissolution des résistances sur le plan affectif par le sujet lui-même, mais mener par l’analyste, que se réalise l’autoréflexion du sujet. C’est une réflexion du sujet sur lui-même, par lui-même qui se guérit. Là, il est appelé à dépasser des attitudes dogmatiques et doit s’identifier à sa pathologie et donc en prendre lui-même la responsabilité. Ce même model est transposé sur les institutions sociales. (Habermas 1976 :305-330 et passim) Cependant, l’on doit faire remarquer une certaine évolution dans la pensée de Jürgen Habermas où il est passé de ce point de vue proprement psychanalytique à la pragmatique universelle, pour réhabilité in fine la symétrie entre le sujet scientifique et son « sujet-objet », où il est question pour chacun de répondre chaque fois à sa prétention à la validité supposée dans le langage thématisant le monde (et ses expériences). Voir Logique des sciences sociales et autres essais (Avant-propos et passages 329-411 et passim).
[10] L’on ne doit nullement confondre ici l’intérêt de la connaissance émancipatoire avec l’intérêt de la connaissance technique. Ce n’est que la connaissance (ici techniquement exploitable) développée dans les sciences dites naturelles qui nous confère un « pouvoir technique » sur la nature. L’enjeu de cette confusion se révèle en termes d’une chosification-quantification de la réalité sociale et symbolique. La conséquence théorique fondamentale d’une telle ambigüité a été la négation du sujet de la connaissance et donc aussi celle du sujet historique, la négation de la réflexion, négation de toute critique possible. De cela il s’ensuit toutes les « théories » positivistes pour lesquelles la question de la validité n’a point de sens, mais sont plutôt obstinées par la factualité, le désir incessant d’objectivité. Par ailleurs, l’une des conséquences métathéoriques flagrantes de cette confusion a été le populisme politique qui fait abstraction de la communication (au profit de la propagande et la manipulation) et donc du sujet communiquant et agissant pour s’instaurer in fine comme totalitarisme.